mercredi 10 novembre 2010


Une des Historiettes : "Engagements de campagne devant le Conseil National de la Gauche"

Jeudi 25 juin 1987 : audition devant le Conseil National de la Gauche

Chaque côté d’une grande salle rectangulaire, je ne sais plus où dans Paris, était occupé par quatre groupes distincts assis sur des chaises : à gauche de l’entrée, les journalistes ; à droite, un public d’invités ; en face, une douzaine de membres du « Conseil National de la Gauche » dont les anciens ministres socialistes Lionel Jospin, André Delebarre, Jean Le Garrec et le communiste dissident (?) Pierre Juquin.

En face d’eux, seuls, un peu perdus dans cette immensité, deux hommes : un professeur de médecine renommé, chargé des questions de santé au Parti Socialiste et... votre serviteur

Un mois plus tôt, j’avais trouvé dans mon courrier une lettre à mon attention, à en-tête du « Conseil National de la Gauche ». Signée de Pierre Juquin, elle m’invitait en ma qualité de « grand témoin de ce temps » (sic) à exposer mes réflexions sur la Sécurité Sociale devant cet aréopage de personnalités de gauche, provisoirement dans l’opposition. Mes idées « ultra-libérales » étaient connues. Elles tranchaient, à l’évidence, avec la politique « ultra-étatiste » menée au même moment par Philippe Seguin. Ce ministre des affaires sociales du gouvernement Chirac, entendait sacrifier une fois encore à la déesse « Sécu ». Il s’imaginait même la présenter comme maternelle et donc sympathique, en la dépeignant comme une grotesque baleine obèse sur tous les murs et autres panneaux publicitaires de France et de Navarre !

Conformément à ce que l’on attendait de moi, je me fis un plaisir de présenter sans fard ni précaution de langage les mesures concrètes et « ultra-libérales » que je mettrais en œuvre, si comme je l’espérais .... j’étais élu Président de la République en 1988.

« En tout premier lieu, dès le mois suivant la constitution de mon gouvernement, je procèderais à une augmentation massive du SMIC. Non pas une hausse de 1 à 2 points au dessus de l’inflation comme le réclament les syndicats, non pas de 8 % comme le promet Arlette Laguiller[1], mais de 90 % !

Aujourd’hui, le salarié au plus bas de l’échelle gagne mensuellement 9 500 FF (1 400 €). Son employeur, sans son accord, lui prend pour nourrir la « Baleine » 1 500 FF (230 €) pour l’assurance maladie, 1 500 FF, pour la retraite et 1 500 FF pour d’autres motifs (assurance-chômage, accidents du travail, allocations familiales, etc.).

Une fois élu, au lieu de les y forcer j’interdirais aux entreprises de toucher aux gains de leurs salariés. Ce ne seraient pas 5 000 FF (770 €), mais 9 500 FF (1 460 €) qu’à la fin du mois chaque Smicard pourrait rapporter chez lui.

« En deuxième lieu, j’étendrais à tous les salariés le régime d’assurance-maladie du travailleur frontalier suisse : habitant en France, travaillant en Suisse, se faisant soigner à son choix dans l’un ou l’autre pays, il peut couvrir son risque maladie en mettant en concurrence les deux mille mutuelles offrant ce service dans ce pays. Il lui en coûtera environ 500 FF par mois, soit le tiers des exigences actuelles de la Baleine.

« En troisième lieu, vous n’avez pas été sans constater en matière de santé la différence de traitement entre celle des humains, d’un côté, et celle des chats et des chiens, de l’autre. Pour nous, la pénurie inhérente à tout système planifié et administré : assurance unique et imposée, numerus clausus dans les facultés de médecine, limitation du nombre de pharmacies, traque des bénéfices des laboratoires, traque des médecines parallèles, traque de la consommation des médicaments, etc. Et pour orner le tout, couronnes de laurier tressées à tout ministre pouvant faire croire à un succès quelconque dans la course éternelle à la limitation des dépenses.

« Pour nos petits compagnons à quatre pattes, l’économie de marché et son abondance : libre choix de l’assurance et de sa compagnie, de la production, et de la distribution des médicaments, implantation des vétérinaires sans autre limite que la demande de la clientèle, etc. Pour eux, comme pour l’habillement, la construction immobilière, les ventes de voitures ou la fréquentation des stations touristiques, les bons chiffres dont on se félicite sont ceux de l’envol des dépenses !

J’alignerais en conséquence le système de santé des humains sur celui des chats et des chiens. »

On m’avait écouté avec courtoisie et un intérêt amusé.

Malheureusement, j’ignorais à cette époque que politiciens et fonctionnaires s’étaient alloués et à eux seuls ce même régime de capitalisation qu’à grand renfort de prétendus principes, ils refusaient aux salariés du privé, aux commerçants et autres agriculteurs. Sinon j’aurais pu continuer ainsi :

« Pour les retraites, enfin, je donnerais à tous l’accès à la ‘Préfon’, aujourd’hui réservée aux hommes de l’état. Fonctionnaires et élus, vous connaissez bien ce régime de capitalisation auquel vous pouvez souscrire librement pour vous et votre conjoint quelle soit sa situation, dont les primes sont déductibles de vos impôts sur le revenu, dont vous pouvez bénéficier même si vous n’avez été que quatre mois au service de l’état (la scolarité à l’ENA ou à Polytechnique étant prise en compte), auquel vous pouvez adhérer à tout moment jusqu’à votre retraite en rachetant jusqu’à quarante années de cotisation (quatre-vingts avec votre conjoint) en vous dispensant, éventuellement, plusieurs années de suite, du moindre paiement de l’impôt sur le revenu.

Bien entendu, le régime de capitalisation ‘Préfon’ pourrait être distribué librement par toute compagnie d’assurance, française ou étrangère, auxquelles les salariés auraient choisi de confier leurs économies pour leurs vieux jours »

Aujourd’hui encore, je me demande si je n’ai pas laissé passer ma chance : j’aurais pu, ce jour là, devant le Conseil National de la Gauche, poser ma candidature à la candidature pour l’élection présidentielle. Peut-être aurait-elle été préférée à celle, bourgeoise, de François Mitterrand[2].

Pour effacer mes regrets, un de mes camarades des Compagnies Sahariennes, devenu entre-temps, membre du Parti socialiste, m’assure que je n’aurais eu aucune chance : ma lutte contre les privilégiés et mon engagement en faveur du Tiers-Etat aurait été jugée « populiste », dangereuse, et par trop révolutionnaire !




[1] A l’époque, Arlette Laguiller était secrétaire générale du parti trotskyste, Lutte Ouvrière. Candidate à chaque élection présidentielle depuis 1974, elle voyait ses scores fluctuer entre 1,33% et 5,72% des voix.

[2] Homme politique élu en 1981 Président de la République sous l’étiquette « socialiste » et effectivement réélu en 1988.